jeudi 12 avril 2018





Buveuse de lumières

Le temps doux persiste, retarde l’ascension du banc de neige à ma fenêtre. Un soleil radieux réveille la marmotte qui va et vient sur l’empilement de glaces salies. Appuyée aux boiseries, j’observe les manœuvres aériennes des corneilles : atterrissages et bains de rue se multiplient. Leurs croassements métalliques jaillissent, traversent la vitre.
Aujourd’hui encore : ni blizzard ni froid. J’abandonne mes lourdes bottes pour des semelles plus fines, troque mon duvet pour un manteau plus aérien. Je retire mon bonnet, n’habite plus l’hiver. Je me promène libre dans la douceur du temps, contourne mares d’eau et îlots d’abrasifs sur la chaussée. Les pluies répétitives redessinent au quotidien l’allure de mon paysage.

J’emprunte l’allée des Bibliothèques. Le chantier est enfin terminé. Échafaudages et barrières ont disparu. J’entre dans la cathédrale livresque par la grande porte dégagée de ses monstres de fer, monte au 5’ où m’attend Annie Dillard. Elle ne le sait pas. J’ai rendez-vous avec ses mémoires. Je me promène autour des livres et m’y meus fascinée, troublée par leur indéfinissable parfum. Je retourne une dernière fois dans l’allée aux couleurs fanées, je sais qu’il y en a un, rose thé, un peu brisé, corné, qui raconte au-delà de la matérialité de l’ouvrage. Je m’abreuve d’une ligne, d’une phrase, d’un paragraphe, reste sur ma soif : une vieille habitude. Tous mes sens frémissent à la recherche d’un titre. J’épluche la section, m’acharne. Mon désir inassouvi, je longe d’autres rayons saisis et ouvre au hasard un bouquin, effleure du regard une écriture au charme insistant : Mort d’un cheval dans les bras de sa mère, de Jane Sautière. Je caresse la plaquette, soupèse le poids de son histoire improbable, l’emporte. Demain, je m’envole et elle fera le voyage avec moi. Je retourne en France pour la 20’ édition du Printemps des Poètes.

Je loge toujours à Ville d’Avray chez une amie des arts. J’occupe une chambre improvisée, dans sa bibliothèque nichée au 3’ étage pour les deux semaines de mon séjour. Dans ce délire de livres, je dors peu.
Le jour, je file sur Paris, fais une halte gourmande au Marché de la poésie place Saint-Sulpice. Pèlerin glaneuse de prose, j’erre entre les kiosques et fais provision des plus récentes publications. Mes flâneries à la Cité internationale des arts me collettent aux Oreillers Rouges, collectif aux idées folles, qui alimentent la fête littéraire annuelle. Il m’arrive souvent de m’attarder sur les quais de Seine, chez les Bouquinistes. Le soir, je cours les chapelles de lecture là où les mots se disent, se vivent, pour entendre la tendresse des Souffleurs de commandos poétiques. Ils chuchotent à travers de longs tubes, à l’oreille des passants curieux. Il m’arrive de rester là pour les écouter murmurer, parfois aussi je rejoins l’association Lire dans le noir, pour des lectures improvisées de poèmes sous les parapluies. Mes circuits renouvelés de l’exil, se clôture avec la Nuit de la poésie.

Je reviens au pays mouiller mes espadrilles, humer l’herbe, le vent d’été.
dp